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L'exploitation laitière du Val Herbert : le pari du bio face à la crise du lait

Il y a quelques mois encore, les médias ne tarissaient pas de reportages sur la crise agricole, dépeignant des petits éleveurs étranglés par leurs dettes, égrenant dans les titres des journaux des chiffres effrayants : « un agriculteur se suicide tous les deux jours en France », « le prix du lait de vache a baissé de 8% par rapport à 2015 »…

En rencontrant Philippe Marie, gérant de l’EARL (Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée) du Val Herbert, à vingt minutes de Caen, cette question me taraude l’esprit : comment redonner un horizon aux éleveurs écrasés par le nouveau tournant de la politique agricole commune – la dérégulation qui a suivi la fin des quotas laitiers en 2015 ? Philippe Marie a, lui, fait le choix du bio pour son cheptel de 80 vaches normandes.



LE BIO, UNE SOLUTION A LA BAISSE DES PRIX


Philippe Marie a pensé à se convertir au bio dès 2009, au plus fort de la crise du lait. A cette époque, les quotas laitiers existaient toujours, et une réforme de la PAC (Politique Agricole Commune) en 2003 avait fait chuté le prix de la poudre du lait de 30% par rapport à l’année précédente. Cette réforme prévoyait la baisse des prix d’intervention du lait en contrepartie de davantage de subventions… avec des résultats limités. On se souvient des manifestations et des blocages routiers dans l’ouest et le nord de la France. En Belgique, les producteurs déversent des millions de litres de lait. Comme beaucoup, Philippe vend à perte. Il comprend que le « système ne fonctionne pas ».

L’enterrement du régime des quotas laitiers le 1er avril 2015 n’a fait que renforcer son choix. La fin de ce pilier de la PAC vieux de 1984 a marqué un tournant dans la filière agricole. Jusqu’en 2015, les quotas laitiers avaient entériné un système très protecteur pour éviter la surproduction de lait en Europe. Un quota était affecté pour chaque pays, il était ensuite partagé entre les différents producteurs de lait. La fin des quotas laitiers laisse la place à un système beaucoup plus libéral : désormais les éleveurs peuvent produire autant de lait qu’ils le souhaitent, mais les prix sont maintenant fixés par des contrats entre les producteurs et les laiteries qui, par le jeu de la concurrence, poussent les prix à la baisse.


Pour s’adapter à ce nouvel environnement concurrentiel, il faut être toujours plus performant. Si Philippe en est conscient, il se refuse à vendre son lait à moins de 30 centimes le litre. Il se retrouve alors confronté à un choix : « soit on mettait deux robots, soit on passait au bio. On est passé au bio » se souvient-il. Si le lait bio séduit autant les producteurs, c’est parce que son prix de vente est supérieur à celui du lait conventionnel : à 440€/1000L au lieu de 288€/1000L. Mais pour obtenir le précieux label AB, il faut respecter un cahier des charges très précis : les animaux doivent être nourris avec des fourrages biologiques dont 50% au moins doivent provenir de la ferme.


UN ETAT D’ESPRIT AVANT TOUT


Du fait des contraintes qu’il impose, il est difficile de considérer le passage au bio comme une simple stratégie pour résorber un déficit de trésorerie. Le choix du lait bio découle avant tout d’un changement d’état d’esprit. Il entraine un bouleversement total du système de production traditionnel fondé sur le productivisme. Le passage au bio semble même être un choix contre-intuitif, surtout lorsque la conversion est non simultanée comme c’est le cas pour Philippe. En d’autres termes, la conversion est décalée : dans un premier temps, les cultures fourragères sont progressivement cultivées de manière biologique, pour qu’ensuite le lait puisse obtenir le label, lorsque les vaches sont effectivement nourries en bio. Il faut donc accepter de payer des charges supplémentaires pour le fourrage bio tout en continuant à vendre du lait conventionnel alors que, comme le déplore Philippe, « les subventions de la PAC ne suivent pas ». Il faut aussi accepter un recul de la production laitière et donc des recettes : en bio, les vaches ne produisent plus que 6000L de lait par an contre 9000L en conventionnel. Philippe espère agrandir son cheptel à 130 vaches pour combler ce manque.


Difficile donc de voir la rentabilité immédiate d’une conversion. Au contraire, les deux années de conversion restent très difficiles. Ce qui a surtout motivé Philippe dans son choix de passer au bio, c’est de retourner à une agriculture raisonnée, plus soucieuse de la protection des ressources naturelles et du bien-être de ses animaux. Il a arrêté le soja génétiquement modifié et les produits phytosanitaires sans regret : il ne les supportait plus. « J’en avais marre de mettre ma combinaison pour aller asperger mes cultures de produits phyto. Après je partais directement me laver, je ne supportais pas ça » se souvient-il. Il continue à utiliser des antibiotiques dont il a encore du mal à se défaire.

Pesticides, antibiotiques, OGM… Passer au bio suppose de délaisser des habitudes durablement ancrées au fil des générations, et dont l’abandon se révèle coûteux. Pour Philippe, ce sont ces habitudes qui sont le principal obstacle au passage au bio : « on est formaté au conventionnel » lâche-t-il. Il se souvient, dans une petit rire, de la réaction de ses voisins agriculteurs lorsqu’il a décidé de se convertir au bio. Peu le comprenait. « J’étais assez mal vu en fait, on pensait que ça n’allait jamais marcher. Mais maintenant, on voit que je suis encore là et on s’intéresse de plus en plus à ce que je fais ! » s’exclame-t-il. Malgré tout, Philippe a du mal à trouver un repreneur pour sa ferme. « Les jeunes, ils sont plus intéressés par les gros tracteurs que l’agriculture bio ! J’en ai un qui est parti en formation, mais le bio, non, ça prend pas ».


LE LAIT BIO POUR RETARDER L’ECHEANCE ?


La conversion de Philippe a été financée en partie par Danone qui s’en est porté garant et rachète sa production. Il lui fournit aussi un accompagnement technique. Alors que la demande de lait bio ne cesse de croître, l’industriel a trouvé le bon filon en lançant en 2007 sa marque de produits laitiers bio « Les Deux Vaches ». Problème, l’augmentation de la demande de bio commence à se répercuter sur les prix, et Philippe en est bien conscient. « Danone a déjà diminué les prix à l’achat » ajoute-t-il.


D’autres alternatives restent encore à explorer, notamment pour réduire les coûts de production à l’origine du plus gros des dettes des producteurs. Philippe a participé récemment à un voyage au Royaume-Uni organisé par la Chambre d’Agriculture du Calvados, pour y découvrir le système pâturant néo-zélandais. Pour le coup, la solution est radicale : pas de coûts d’entretien des bâtiments ni de mise aux normes coûteuses, les bêtes sont simplement laissées toute l’année dans les pâturages. Une solution difficilement imaginable en France : « si jamais je fais ça, je n’imagine pas les problèmes que j’aurai avec les associations pour le bien-être animal ! » s’exclame Philippe. Il a aussi pensé à la vente directe, mais nourrit peu d’espoir. « Les gens ne sont pas prêts à venir chercher leur bouteille de lait tous les jours à la ferme. En 2009, au lieu de jeter le lait que je vendais à perte, j’avais décidé de le donner. J’avais mis un panneau au bout de la route, mais personne n’était venu. » Nul doute que le changement des habitudes du consommateur reste aussi nécessaire que celles de l’agriculteur.

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