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Webkamra, le système de paniers locaux pour reconnecter la ville au monde rural

2017 est la première année où Târgu Mureș, ville moyenne de 130 000 habitants au cœur de la Transylvanie, a vu fleurir trois initiatives de paniers bio hebdomadaires. Webkamra est l’une d’entre elles. Initiée par une association locale de protection environnementale, Focus Eco Center, elle permet à János, fermier à Mădăraș, de vendre les produits de sa ferme tous les jeudis – une bonne opportunité face à la demande grandissante de produits locaux et organiques. Mais au-delà de la vente directe, le projet vise aussi à entretenir une communauté rurale-urbaine, fondée sur la solidarité, le partage et la protection du patrimoine naturel et agricole… quelle est la réalité de ces ambitions ?



János, sa fille, et sa mère, dans la vieille ferme familiale.


Des paniers bio de János...


Je retrouve János dans son jardin à Mădăraș, à 20km de Târgu Mureș. C’est ici, dans la ferme de ses grands-parents construite il y a près d’un siècle, qu’il produit une partie de ses légumes qu’il vend en ville. Dans le petit jardin, juste derrière le poulailler, János me montre les oignons, radis et salades pour le prochain panier. Il possède deux autres terres alentours, une où il produit les pommes de terre qui ont besoin de plus de place ; une autre où il possède une serre et la maison où il vit avec sa femme et sa fille.


Pour le nouveau paysan de 36 ans, la production en organique était une évidence : c’était ainsi que ses parents et grands-parents cultivaient leurs légumes. Paillage, travail sur un petit terrain avec une grande diversité d’espèces végétales, association des plantes, utilisation de compost organique… Certaines pratiques que perpétue János se rapprochent de la permaculture, mais il ne s’en réclame pas. « Je ne connais pas bien la permaculture ; peut-être que ce je fais s’en rapproche, oui. Mais c’est d’abord ce que faisaient mes grands-parents. Ma grand-mère, elle n’a jamais utilisé de pesticides, mais elle passait presque toutes ses journées à travailler dans le jardin ! »


Car s’il y a quelque chose que l’on tend à oublier avec l’abondance des produits en supermarchés, c’est que ces pratiques traditionnelles demandent plus de temps et d’attention. « Regarde, je peux acheter un poulet en supermarché. Au bout d’un mois, les poulets sont prêts parce qu’ils sont gavés. Moi, pour avoir un poulet de cette taille, il me faut 6 mois. Je les nourris exclusivement de maïs. Les poulets de supermarché, tu ne sais même pas avec quoi ils sont nourris » déplore János.


Respecter les plantes et les animaux, travailler en utilisant et protégeant les ressources de l’écosystème, c’est aussi la garantie de produits de très bonne qualité et très largement appréciés des consommateurs urbains. « Je me souviens, raconte János en riant, qu’une dame m’avait remercié pour lui avoir fait retrouver les oignons de printemps de son enfance ! ». Aujourd’hui, les urbains sont de plus en plus friands de ces produits frais et goûteux, tout droit sortis de la ferme. « Je vois de plus en plus de personnes qui cherchent à manger plus sainement, des produits du village. Ils ne veulent plus de la nourriture sans saveur des supermarchés » renchérit János. Paradoxalement, ces personnes restent aussi difficiles à mobiliser dans ce type d’initiatives.



…à la communauté de consommateurs urbains


Retour à Târgu Mureș. Ce jeudi après-midi est jour de marché dans le jardin de l’association Focus Eco Center. Les radis et salades de János sont installés en bonne place, entre le stand de fromages transylvaniens et celui des miels et sirops. Les clients s’amassent mais tous ne sont pas au fait des paniers de János. Certains jettent des regards curieux, ou demandent à acheter seulement quelques légumes du panier. Or, János comme les membres de l’association, cherchent le plus possible à éviter la vente ‘à la carte’. Les paniers de légumes permettent d’entretenir plus facilement un réseau de consommateurs réguliers et d’établir de meilleures relations avec eux afin de discuter du prix des paniers, ou d’organiser des visites de la ferme. C’est le même système que les AMAP françaises.


Zoltan, président de Focus Eco Center, avait lancé Webkamra il y a une dizaine d’années auparavant, sur le modèle émergent des Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne. Le projet s’était arrêté peu après, quand le producteur a dû faire face à des difficultés familiales. Ce n’est que quelques mois plus tôt, quand je suis arrivée à Focus Eco Center en tant que stagiaire, que Webkamra a été relancé. Les principes de l’initiative, Zoltan me les avait expliqués dès les débuts: « Ce qu’on veut, c’est créer un esprit de communauté, se réunir régulièrement, discuter, partager, mais aussi soutenir les paysans. En achetant local, on permet le maintien des petits paysans et on encourage la conservation du patrimoine écologique. » Si, en théorie, les consommateurs sont sensibles à l’ensemble de ces valeurs, en pratique, ils recherchent d’abord et avant tout des produits frais. C’est pourquoi certains souhaitent se faire livrer à la maison, et beaucoup hésitent à s’engager sur un contrat de 6 mois et payer en avance les paniers.

En travaillant sur la relance de Webkamra, je me suis confrontée à la difficulté de dépasser l’unique relation commerciale. En effet, si beaucoup de personnes étaient intéressés par l’initiative, très peu se sont véritablement engagés dans la mise au point du contrat consommateur-producteur ou des évènements communautaires associés. Aujourd’hui, János a signé un contrat avec un petit groupe 10 consommateurs – sur une centaine qui se disait intéressée. C’est un peu moins que les clients à qui il vendait avant sans contrat, mais pour lui, cela reste une très bonne opportunité et lui assure plus de sécurité. Quand il a commencé à vendre ses paniers, il devait lui-même chercher ses clients et leur livrer les légumes, souvent à la carte. « Maintenant je n’ai plus le temps. Ce système est très bon pour moi : un jour par semaine, une heure précise, un nombre précis de paniers, un prix fixé à l’avance. C’est bon pour moi mais aussi pour les communautés locales. La vente directe permet à l’argent de rester ici, il ne part pas chez Lidl ou Carrefour » conclut-il.




Réconcilier la ruralité et les modes de vie urbains : un défi plus que jamais d’actualité


A l’image des autres initiatives de paniers de légumes biologiques, Webkamra témoigne de ce souhait de (re)construire le lien urbain-rural. Face à l’urbanisation mal contrôlée, l’arrivée des grands supermarchés étrangers et des produits standardisés et plastifiés, le monde rural s’érige comme l’alternative écologique et sociétale. C’est d’autant plus prégnant en Roumanie que les campagnes sont encore largement habitées, comme arrêtées dans le temps et imprégnées des fantasmes du passé. Sitôt la ville quittée, les charrettes, les routes de terre et les petits villages où tout le monde se connait et se salue réapparaissent, comme intacts.


János n’oublie pas qu’il vient de la ville. Il apprécie grandement la vie au village, mais il ne vit pas encore des paniers de légumes et a toujours besoin d’un travail en ville. C’est sans grande conviction qu’il continue d’y vendre shampoings et rouges à lèvres dans un petit magasin. « Je veux arrêter ça bientôt, mais c’est compliqué. Je dois payer l’électricité, le gaz, l’essence pour la voiture. J’ai besoin d’avoir un travail à côté des paniers de légumes. » Mais il a déjà accompli un premier pas : déménager à la campagne, il y a 7 ans de cela. « J’aime vraiment la campagne. La ville, c’est bien lorsqu’on est jeune et pour étudier. Mais quand on grandit… la campagne, c’est tellement plus calme, reposant, sans voitures, sans trains. »


Aussi idéalisée soit-elle, la vie rurale n’échappe pas aux changements. János se souvient en souriant de la vie à la campagne quand il était enfant. « Il n’y avait pas de gaz, on devait faire le feu avec du bois. On n’avait pas d’eau non plus, on la prenait au puis. Il n’y avait pas de routes goudronnées. Quand il pleuvait, on était couvert de boue ! » Or, aujourd’hui, les voitures prennent plus de places que les charrettes dans le village. Des voisins ont abandonné la faux pour la tondeuse à gazon, symbole ultime de modernité. Dans la maison centenaire, la télévision et le frigidaire font face au vieux poêle du XXème siècle. Les paniers de légumes sont aussi une nouveauté en soi. Les parents et grands-parents de János ne vendaient pas leurs légumes, mais les échangeaient selon la solidarité traditionnelle villageoise – « quand tu avais trop de carottes, tu en donnais contre le voisin qui avait trop de tomates ». Aujourd’hui, János utilise sa page Facebook pour promouvoir ses paniers de légumes.


János veut désormais emménager dans la petite ferme de sa grand-mère, celle-là même que son grand-père a bâti de ses mains en 1889. Figée dans le temps, la ferme est complètement autosuffisante. « J’ai tout ici. Les légumes, les poulets, les lapins, les chèvres et les cochons. J’ai aussi de la vigne pour faire mon vin, des pruniers pour faire la palinka (liqueur traditionnelle), des herbes aromatiques et médicinales. » La maison n’a toujours pas l’eau courante, et les toilettes sont encore au fond du jardin. János veut la rénover, mais sans effacer ses souvenirs d’enfance. C’est finalement le même enjeu et la même difficulté que ses paniers de légumes : trouver comment adapter la culture et la tradition à de nouveaux modes de vie.

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