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La poudre de papriká: de la production villageoise aux réseaux sociaux

Dániel vit à Pănet, un de ces hameaux transylvaniens traversés par une unique ligne de bitume. Dans le petit village à dominante hongroise, la production de poudre de poivron rouge (ou papriká) est traditionnelle et le savoir-faire transmis de générations en générations. C’est donc presque naturellement que Dániel, 24 ans, s’est lancé dans la production de cette fameuse épice hongroise, à un détail près : il veut en faire un business et son travail à temps plein.




La poudre de poivron rouge : une tradition familiale


Malgré la fine pluie bruineuse de cette fin d’après-midi, Dániel m’attend dans le jardin familial où il cultive les fameux poivrons rouges. A cette période de l’année, les plants sont encore placés dans trois grands bacs surélevés sur des amas de fumier et couverts de bâches en plastique – elles permettent de capter la chaleur du soleil et de conserver celle du compost, à la manière d’une serre. « Dans chacune, il y a entre 600 et 700 plants de papriká » m’explique Dániel dans un anglais approximatif. Il ne maîtrise pas très bien la langue, mais il a traduit en français les plantes aromatiques qu’il a plantées aux côtés des plants de poivrons. « Ici du basilic et de la sauge, là, du thym. Je mets toujours de l’ail à côté des poivrons, ça les aide à pousser » montre-t-il. Les plantes plus vigoureuses sont déjà empotées et s’alignent le long du mur de la maison familiale. Dániel en frotte les feuilles pour en exhaler le parfum, l’œil brillant, et m’invite à faire de même : « Ici j’ai du romarin et de l’origan. Je les réduis en poudre et je les vends aussi quand je le peux » continue-t-il.

Malgré son jeune âge, la culture des plantes aromatiques et des poivrons n’est plus un secret pour Dániel. Dans le village, il est d’ailleurs commun de produire sa propre poudre de papriká, traditionnellement utilisée pour colorer le goulasch – ragoût à base de bœuf – et d’en transmettre le savoir-faire. La famille de Dániel n’est donc pas plus étrangère au légume local que ses voisins : sa mère, son frère et sa belle-sœur ont embrassé la tradition centenaire. « C’est ma grand-mère qui m’a tout appris », se souvient-il. Aujourd’hui, sa famille l’aide encore dans la culture des poivrons et leur préparation, du séchage au broyage : des activités qui se font toutes sur place.


« Je veux avoir mon propre business »


S’il a repris la tradition familiale, Dániel s’en démarque aussi. Il est l’un des seuls du village à vendre sa production, et c’est ce challenge que le jeune diplômé en Economie Agroalimentaire a voulu saisir. La production de papriká n’était qu’un prétexte. « Moi ce que j’aime le plus dans mon travail, c’est de vendre, de faire la publicité » avoue-t-il. Lancé il y a deux ans, il a récemment commencé à vendre sur deux marchés locaux et à trois restaurants. L’enjeu pour lui est de se faire connaître, et c’est sur les réseaux sociaux que le plus gros se joue maintenant. Il publicise ses produits sur une page Facebook, poste photos et vidéos de ses produits et de sa présence sur les marchés : un travail qui demande du temps.

Or, pour le moment, le papriká n’occupe que son temps libre. Dániel est un jeune diplômé qui vit encore chez ses parents. Il travaille en ville dans une boîte de communication, mais c’est bien dans la poudre de papriká qu’il souhaite continuer. « Dans 20 ans, comme je me vois ? Dans une ferme biologique, avec plein d’enfants, rit-il. Je veux surtout augmenter la production de poudre de papriká, avoir mon propre business et des employés. » Il a bon espoir, parce qu’il lui arrive parfois d’être à court de papriká lorsqu’il se rend aux marchés.




La tradition à l’heure de la mondialisation


Mais est-il si facile de promouvoir des produits traditionnels à une ère où les échanges de marchandises et d’informations s’internationalisent, et où les supermarchés se sont ancrés dans les habitudes de consommation ? Dániel est conscient de ces enjeux. Les réseaux sociaux sont d’ailleurs l’opportunité pour lui de témoigner de l’importance des circuits de production traditionnels courts, du producteur au consommateur. Dans sa chambre d’étudiant, il colle des schémas au mur, prépare ses textes et tourne ses podcast. « J’ai publié deux vidéos pour expliquer l’importance d’acheter local, en prenant des exemples simples. J’ai près de 70 000 vues ! me montre-t-il sur son portable. Les gens sont de plus en plus sensibles à la manière dont est produite leur nourriture. »

Sans aucun doute, l’attrait pour les produits frais, traditionnels, « faits-maison » est de plus en plus visible. Dániel joue d’ailleurs sur l’image du produit, le nom qu’il a choisi pour la marque – « Mezőségi », qui désigne aussi la région environnante, et le packaging qui reprend des motifs de tricot typiques hongrois.


Dániel conserve aussi les procédés de fabrication traditionnelle : le séchage des poivrons à l’air libre en été, le broyage au moulin du village. Pour autant, la posture de start-uper que Dániel veut adopter a parfois ses contradictions : par exemple, il ne s’interdit ni de vendre en supermarché, ni de vendre dans d’autres régions de Roumanie. Et exporter ? « Trop difficile à faire, rit-il, mais ça serait intéressant! »

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