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Produire en AOP : la filière de qualité qui échappe à la course à la productivité ?

Le souffle court, nous apercevons enfin la pancarte tant attendue « La Montagnette » et le chalet se dessiner au bout du chemin. C’est dans cette petite auberge de montagne qu’il tient avec sa femme depuis 2004 que Daniel Grosset m’a donné rendez-vous. Nous sommes à Flumet, dans le Val d’Arly (73). Profitant des vacances estivales, j’ai emmené ma famille à la rencontre de ce producteur savoyard de lait AOP (Appellation d’Origine Contrôlée), qui a repris l’exploitation familiale en 1989. Depuis 25 ans, il travaille dans les alpages pour produire le lait qui servira à fabriquer deux fromages très prisés des touristes : le Reblochon et le Beaufort. Des fromages AOP qui, à rebours du système industrialisé et productiviste dominant, évoquent toujours des images de fabrication locale et traditionnelle mais aussi une production qui échappe à la pression exercée sur les prix.





Produire en AOP, une niche pour échapper à la crise ?


La production AOP est souvent considérée comme une niche : fortement régulée et protégée de la concurrence, elle offre un avantage incomparable : un lait vendu à 60 centimes le litre contre 30 centimes pour le lait conventionnel, ainsi qu’une relative stabilité des prix.


Si ces prix à l’achat tranchent par rapport à la situation dramatique dans laquelle se trouvent de nombreux agriculteurs aujourd’hui, ils sont la contrepartie de fortes contraintes : le cahier des charges est bien plus contraignant que celui de la production de lait biologique. Par exemple, la production de lait est limitée par vache et par lactation, l’utilisation d’ensilage, (i.e. une méthode de conservation du fourrage : en AOP, seul le pâturage et le foin sont autorisés) d’OGM ou encore le chlore utilisé pour le lessivage sont interdits. Les vaches doivent être d’espèce endémique : Abondance, Tarine ou Montbéliarde. Ce n’est pas tout : le pourcentage d’herbe pâturée dans l’alimentation des vaches, la durée de pâturage en été ou les possibilités d’achat de foin à l’extérieur de la zone sont aussi réglementées et objets de contrôles réguliers. A cela s’ajoutent d’autres contraintes, celles du travail en montagne : le matériel et les véhicules de montagne, le prix du foncier, la maintenance des machines sont très coûteux, alors que les subventions sont devenues plus difficiles à obtenir. Elles n’ont recouvert que 12% des investissements lorsque Julien, le fils de Daniel, a repris l’exploitation. Finalement, l’avantage de la production AOP par rapport au lait conventionnel n’est pas si large. « Financièrement, on s’en sort tout juste » admet Daniel.


La relative sécurité des prix dont bénéficie Daniel ne tient pas tant au label AOP qu’à la coopérative fruitière à laquelle il vend son lait. Parce qu’elle n’admet pas d’intermédiaires industriels, elle lui assure des prix moins volatiles que pour le lait conventionnel : un avantage considérable dans le contexte actuel, et Daniel en est bien conscient. « C’est la mondialisation, lâche-t-il. En plaine, on pousse à la quantité, on achète des robots pour produire toujours plus. Après, on arrive à des problèmes de surproduction, c’est pour ça que les prix chutent ». Pourtant, la profession n’est pas exempte de tensions : la production de lait AOP n’est pas complètement étanche au contexte économique. Récemment, la coopérative laitière a du faire baisser les prix à l’achat du lait.


Tradition ou robotisation ?


Les producteurs en AOP restent également confrontés aux mêmes clivages en termes de robotisation du métier. En AOP, la possibilité d’utilisation de robots n’est pas spécifiée dans le cahier des charges. « Est-ce que l’utilisation de robots est compatible avec la tradition de fabrication du fromage ? C’est une question qui divise toujours les producteurs » avoue Daniel.


La pénibilité du travail pose légitimement la question : même si le calme idyllique des alpages, seulement troublé par les cloches des vaches laitières, pourrait le faire croire, le travail de Daniel Grosset et de son fils est loin d’être facile. La journée est réglée comme une horloge, rythmée par les traites : une le matin et une le soir. « Il faut faire la première traite vers 5h30 du matin, ensuite, la coopérative vient vers 7 heures chercher le lait encore tiède de la matinée et le lait de la veille qui a été refroidi » explique Daniel. Tous les jours, il faut donc amener la machine à traire dans les alpages. Et la traite n’est qu’une partie du travail quotidien : « l’été, il faut faire les foins, et puis faire bouger les vaches vers les parcelles plus fournies en herbe. Le plus dur, ça reste à l’automne, lorsqu’il faut faire redescendre les bêtes à l’étable » confie-t-il. Le travail en alpage suppose également de libérer les terres pour les pistes de ski l’hiver et de refaire les parcs au printemps chaque année : un travail supplémentaire auquel les producteurs en plaine n’ont pas à faire face.


La qualité des produits et l’amour du métier avant tout


Le rythme de travail est soutenu, mais la production en AOP est bien loin de la logique productiviste et c’est ce qui contribue à cette image de production traditionnelle. En AOP, on préfère la qualité à la quantité, en se limitant à 5000L de lait par vache et par lactation (n. une lactation dure environ une année) – un chiffre doublé voire triplé dans d’autres exploitations européennes ou nord-américaines. Ne pas trop « pousser » les bêtes leur permet de vivre plus longtemps ; la plus vieille des génisses du cheptel a presque 15 ans. « Et puis, quand une vache a une mauvaise production, on la garde une année supplémentaire, on ne l’envoie pas à l’abattoir comme ça », explique Daniel.


Sans aucun doute, ce qui m’a le plus marqué au cours de cette rencontre, c’est l’affection avec laquelle Daniel parle de ses vaches. Quand nous n’y voyons que des génisses plus ou moins identiques, Daniel reconnaît chacune d’entre elles. « Toutes les vaches ont leur caractère, certaines sont plus capricieuses que d’autres » explique-t-il. D’ailleurs, les quarante vaches du cheptel ont toutes un prénom. « Là-bas, c’est Hermine, montre-t-il du doigt. Je ne connais pas les noms des génisses les plus jeunes mais mon fils, lui, il les connaît toutes ! rit-il. Quand je lui demande un peu naïvement ce qu’il préfère dans le métier, il sourit : « c’est d’abord le contact avec les animaux. Mais on doit tout aimer, même si ce n’est pas toujours facile, on n’a pas le choix ! » Les mains dans les poches, il contemple le troupeau. Et nous l’imitons, pensifs.


Sitographie :

http://www.lexpress.fr/styles/saveurs/appelations-aoc-aop-igp-stg-comment-s-y-retrouver-et-choisir-les-bons-produits-alimentaire_1079547.html | Consulté le 06.06.2017

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