top of page

Le jardin des femmes à Trèves : la thérapie par la terre

Manon est étudiante à Sciences Po Rennes et a réalisé son année de mobilité en Allemagne. Elle a tout d’abord effectué un stage dans un Agenda 21 local à Trèves, et va maintenant poursuivre son année à l’université de Dresde.


Pour atteindre le Internationaler Frauengarten – littéralement, « jardin international des femmes », il faut s’éloigner des rues touristiques du centre historique de la petite ville de Trèves, plus vieille ville d’Allemagne. On doit d’abord traverser l’antique Römerbrücke (le pont de Rome), puis pédaler – nous sommes a vélo, Allemagne oblige – encore une dizaine de minutes avant d’atteindre cet îlot de verdure, niché entre deux grands bâtiments industriels. Là s’étalent toutes en longueur des parcelles de fleurs, de plants de légumes et de fruits divers et variés.


 

Le projet du Frauengarten Trier a fêté l’année dernière ses 10 ans d’existence. En 2005, le projet, inspiré par des jardins partagés similaires dans d’autres villes, voit le jour à Trèves à l’initiative de plusieurs associations et administrations, dont le « Frauennotruf », qui s’occupe essentiellement de femmes victimes de violences sexuelles, et le service d’aide aux immigrés de l’Eglise évangélique de Trèves. Ces deux organisations sont restées par la suite au coeur du projet, qui n’aurait cependant pas pu voir le jour sans le soutien financier de particuliers, d’entreprises et de la ville, qui alloue depuis au Frauengarten un budget annuel.


R., l’actuelle responsable du projet au sein de Frauennotruf, m’en dit un peu plus sur la naissance du projet: « la visée était avant tout sociale, m’explique-t-elle. Pour les femmes dont on s’occupe au Frauennotruf, c’est une sorte de thérapie. » Le jardinage, en effet, leur permet de reprendre confiance en elles en leur donnant un pouvoir d’action. Quoi de mieux que le jardinage pour prendre conscience de l’impact de nos actions sur la réalité? La dimension thérapeutique du jardinage est aussi importante pour les femmes immigrées ou réfugiées, qui doivent surmonter des difficultés au quotidien, ne serait-ce qu’à cause de la barrière de la langue. J. a quitté la Russie il y a un an maintenant. Elle a hésité pendant longtemps à venir jardiner au Frauengarten car elle avait peur de ne pas avoir un niveau de langue suffisant pour se faire comprendre des autres, m’explique-t-elle dans un allemand pourtant très fluide. « Je suis venue plusieurs fois avant d’oser demander si je pouvais avoir une parcelle pour jardiner ici. J’avais un jardin en Russie, mais ici je n’avais pas assez de place pour toutes mes plantes et ça m’embêtait. » J. a vite été rassurée par la chaleur de l’accueil qu’elle a reçu des autres femmes du Frauengarten. Ici, l’ouverture aux autres et l’entraide sont les mots d’ordre. Toutes les femmes, quelles que soient leur histoires personnelles, leurs origines ou leurs compétences en jardinage, peuvent venir jardiner librement à toute heure de la journée et peuvent recevoir une parcelle qui leur est réservée. Ainsi, les natives allemandes côtoient des femmes d’origine russe, turque, iranienne, syrienne… qui parfois, ont des connaissances très limitées de la langue de Goethe. Ce qui ne les empêche pas de partager leur savoir en matière de jardinage, ainsi que de demander de l’aide aux autres quand elles ont besoin d’un coup de main.


Seuls les hommes ne peuvent pas venir au Frauengarten comme bon leur semble, ils ne peuvent profiter du jardin que les lundis et mardis à partir de 19 heures, ainsi que le dimanche, jour des familles. La raison de cette interdiction m’est donnée par R. : « Les femmes qui viennent jardiner ont parfois vécu des expériences très éprouvantes liées aux hommes, par exemple des violences conjugales, et se sentiraient mal à l’aise en leur présence. Le Frauengarten est pour elles un refuge, il faut qu’elles s’y sentent en sécurité. » La dimension féministe du projet est assumée : « il s’agit de renforcer la position des femmes, de leur faire prendre conscience de leur propre force ». Maris et fils se plient généralement sans problème à la règle. Récemment, les deux jeunes fils d’une femme ont cependant demandé à venir jardiner en dehors des heures autorisées. Au vu de leur jeune âge, la responsable du jardin a décidé de faire une entorse à la règle et de les autoriser à venir, à condition cependant que leur mère les accompagne.



Si la visée sociale est la première raison d’être du projet, la dimension écologique est loin d’être absente. « La plupart des femmes sont très sensibles aux questions environnementales, me dit Ruth. D’autre part, on les incite toujours à jardiner dans le respect de l’environnement. » Le jardin est également équipé de toilettes-compost et d’un compost mis à la disposition des jardinières. « Mais, tempère R., on ne peut pas empêcher une femme d’utiliser des produits phytosanitaires sur sa parcelle si elle le souhaite vraiment, même si on va essayer de lui montrer que ça n’est pas nécessaire. » En clair : chacune fait ce qu’elle veut sur sa parcelle. Sur les parties communes, en revanche, les responsables défendent l’utilisation de produits et outils peu respectueux de l’environnement.


Chaque troisième vendredi du mois, en fin d’après-midi, a lieu le Gartentreffen, la réunion du jardin. Une petite dizaine de femmes parmi celles qui viennent régulièrement s’attablent pour parler des petits problèmes qui rythment la vie du Frauengarten: la gestion du compost, des parcelles communes, des poubelles qui débordent après chaque barbecue improvisé. Les responsables du jardin s’occupent principalement de tâches administratives; pour le reste, personne n’a le pouvoir de décision et tout est décidé en commun. Plusieurs fois, il a été soulevé que peu de femmes reviennent régulièrement sur une longue durée. Seul un petit nombre de femmes viennent en effet depuis plusieurs années, comme H., qui a sa parcelle depuis 2008 et gère par ailleurs le blog du Frauengarten. Ainsi, les parcelles sont parfois abandonnées pendant des mois avant que l’on ait des nouvelles de sa propriétaire. J. m’explique par exemple en me montrant une parcelle à l’abandon qu’elle appartenait à une famille syrienne, qui ayant désormais la possibilité d’avoir leur propre jardin dans leur maison, ne viennent plus s’en occuper. Il est parfois difficile de maintenir une certaine stabilité au jardin, ce que certaines déplorent. Cependant, conclue R., « ce n’est pas un gros problème, car si certaines s’en vont, il y en a toujours autant à vouloir nous rejoindre. Le changement, c’est aussi ce qui fait la vie du jardin et ce qui participe à sa continuité ».


Pour en savoir plus : le blog du Internationaler Frauengarten Trier (en allemand)

bottom of page