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Anca et Călin : « On ne savait pas qu’on faisait de la permaculture »

J’ai rencontré Anca sur Facebook, alors que je me renseignais sur un Club de Permaculture à Târgu Mureș(Roumanie). Nous avons commencé à discuter et j’ai voulu la rencontrer dès qu’elle a essayé de parler un peu français avec moi – un vrai bonheur après plusieurs mois à n’entendre presque que du hongrois et du roumain autour de moi. En ce début d’après-midi du mois du mai, elle vient me chercher en voiture, avec son mari Călin, ses jumeaux de 4 ans et son ventre arrondi – elle attend le quatrième pour bientôt –, direction leur jardin en permaculture à Poienița dans le comté de Mureș. Nous traversons ces paysages qui me semblent maintenant si familiers – les collines vertes et brunes recouvertes de champs et de forêts, les villages tsiganes où les poules errent en liberté sur la route et où les enfants dépenaillés, assis au bord de la route, contemplent les voitures qui passent.


Le rêve d’un jardin en permaculture…

Ce jour-là et malgré le mois de mai, l’air est froid et s’infiltre dans les vêtements, mais Anca et Călin s’y sont habitués – « il ne faut pas s’en étonner quand on respecte si peu la planète ». Ils laissent les enfants jouer, me font visiter leur terrain, me montrent la serre, les poules, les chiens qu’ils ont récupéré dans la rue. Et ils me racontent comment ils en sont arrivés là. Quand ils me parlent de leur projet de jardin, Anca et Călin utilisent toujours le même mot : c’est leur rêve. Mais dix ans auparavant, ils n’auraient jamais imaginé se retrouver à la campagne à construire une serre et y planter leurs premiers légumes.


Anca a d’abord rêvé d’être professeure d’anglais en école primaire¸ avec succès : elle est maintenant professeure remplaçante. Călin, lui, travaille dans la construction. Son rêve de gosse, me raconte-t-il, c’était de conduire des camions. « Et c’est ce que j’ai fait. Mais après 15 ans, je me suis dit ‘plus jamais ça’ ». Il acquiert alors – il y a 10 ans maintenant – une bande de terre à Poienița, juste à côté de la maison de son frère. Quand il rencontre Anca, il y a quatre ans, il décide avec elle de se lancer dans ce projet auquel leur entourage ne croit guère : « nous avons beaucoup d’espoir, reconnaissent-ils. Pour beaucoup de personnes du village, nous sommes juste naïfs. »


Dès les débuts, Anca et Călin sont profondément convaincus de la nécessité de respecter l’écosystème, d’entretenir une diversité végétale et animale sur leurs terres ou encore de réutiliser la production de leur jardin sous forme de compost. Pourtant, cela ne fait que quelques mois que le couple assume la terminologie « jardin en permaculture » : « On ne savait pas qu’on faisait de la permaculture jusqu’à ce qu’on rencontre Claudia et qu’on rejoigne le Club de Permaculture. C’était un mot nouveau pour nous. Quand Claudia nous a demandé si l’on faisait de la permaculture, on lui a seulement répondu ‘mais qu’est-ce que c’est ?’ On ne connaissait pas le mot. On est allé chercher une définition dans le dictionnaire, et oui, c’est bien ce que l’on fait. »



… dans une région où la pratique a encore peu d’adhérents

Si le terme « permaculture » est si méconnu dans les villages transylvaniens, c’est aussi parce que peu de personnes s’en réclament ou s’y s’intéressent, tant du côté des producteurs que des consommateurs. Toutefois les choses commencent à évoluer lentement. Le Club de Permaculture de Târgu Mureș, fondé il y a quelques mois, rassemble aujourd’hui une dizaine de personnes, la plupart débutants. Deux des membres sont plus expérimentés et fournissent de précieux conseils. La dernière réunion sur le terrain s’est déroulée dans le jardin d’Anca et Călin. « Tous les membres étaient là, et nous expliquaient ce qu’ils voyaient. ‘Ici, ce n’est pas bien’ ou ‘vous pourriez faire quelque chose ici’. Je recherche ce type de personnes, parce qu’on a besoin d’apprendre. On ne sait pas tout ! » avoue Călin.


Le Club permet d’apporter un soutien non négligeable, mais aussi d’apprécier ce changement minime, mais bien présent, dans la société. « L’an dernier, on pensait vraiment qu’on était seul, que personne n’appréciait vraiment la qualité des légumes, mais que tout le monde se préoccupait seulement du prix, déplore Anca. Mais maintenant, on a trouvé des personnes qui sont plus attachées à la saveur des produits que leur quantité ou leur prix. On a des amis intéressés par nos légumes, et en été, on est même capable de leur vendre quelques paniers de légumes. »


Et le constat est le même pour les initiatives de paniers de légumes en vente directe. « L’an dernier, il n’y avait rien. Maintenant, tu peux trouver trois différentes initiatives en ville ! » s’exclame Călin.


La permaculture pour mieux retrouver les savoir-faire traditionnels.

Anca et Călin n’ont jamais été agriculteurs à proprement parler, mais comme beaucoup d’enfants de la région, leurs grands-parents étaient paysans, ou tout au moins, avaient un jardin pour nourrir la famille. Ils se souviennent, en souriant, de leur enfance dans les champs. « Quand j’étais enfant, je travaillais beaucoup avec ma grand-mère. On avait du maïs et de la canne à sucre », se remémore Călin, les yeux dans le vague. Et les deux de se souvenir à quel point ils détestaient ça. « On voulait aller à la mer, ou à la montagne, comme les autres enfants. Mais à la place, on devait rester avec nos grands-parents ! ».


Le couple considère maintenant ces souvenirs d’enfance comme une force. Ils ont appris à travailler dehors, à manier la faux, repérer les herbes utilisées pour le thé. « Je pense que cette expérience est vraiment une bonne chose pour nous. On a appris à respecter la nature, on a appris que le jardin nous rend quelque chose après l’avoir travaillé » explique Călin. Aujourd’hui, ces principes et pratiques traditionnelles guident encore leur manière d’organiser le jardin : les déjections des oies et des poules sont utilisées pour faire le compost et enrichir le sol des cultures. Quand ils ne sont pas aussi utilisés pour le compost, les déchets alimentaires sont donnés aux chiens et aux oiseaux. Les plantes sont associées entre elles pour éloigner les limaces et les pucerons. Aussi, pour Anca, la permaculture n’a rien de nouveau : cette pratique est vieille de plusieurs décennies. « Tout part du respect des plantes et des gens. »


Călin est plus prudent. Il se souvient des premières déconvenues. Il y a deux ans, ils ont perdu toute la production sous serre à cause du froid parce qu’ils avaient planté trop tôt. Anca se rappelle des canards de l’an dernier : « j’étais trop attachée à eux, j’avais pris l’habitude de leur parler. Mais il a bien fallu les tuer. Cette année, c’est fini, on n’a plus de canards ». Le couple est conscient qu’ils ont encore à apprendre. Călin a appris récemment au Club de Permaculture qu’il n’était pas bon de trop creuser la terre avant de semer. « C’est ce que faisaient mes grands-parents pourtant ! » sourit-il.

Un projet qui cache un désir plus profond : fuir la ville.

En contemplant avec Anca et Călin le paysage alentour, si silencieux et paisible, j’ai l’impression de partager avec eux le même sentiment : cet endroit, si loin de tout, est comme un petit coin de paradis. Anca confirme mes pensées. « Quand on vient ici, on en profite pour recharger les batteries » soupire-t-elle. Le couple apprécie beaucoup ce retour à la campagne, un retour aux racines en quelque sorte.


« Je suis une fille de la campagne » rappelle Anca. Comme Călin, elle a voulu partir en ville. Ses parents l’ont poussé à étudier, avoir des bonnes notes, trouver un travail, mais « pas dans les champs, quelque chose de mieux. » Aujourd’hui le couple et leur trois – bientôt quatre – enfants vivent encore dans un appartement en ville, où ils font pousser les plants de tomate sur leur balcon. « C’était une tendance, à l’époque, de tout vendre au village et de partir à la ville pleine de promesses. C’était un rêve, un triste rêve je pense. La ville n’offre pas tant. Bien sûr, tu peux tout trouver dans les supermarchés, tu peux dépenser tout ton argent si tu veux. Mais ce n’est pas ça, la vie. »


Désabusés après leur expérience citadine, le couple souhaite plus que jamais s’installer à Poienita dans ce petit coin de verdure. En achetant le terrain, ils ont aussi acquis une maison construite il y a près d’un siècle. Ils veulent la démolir pour y bâtir une maison écologique. Un choix curieux pour leur entourage. « Ma mère, elle déteste le village. Elle veut aller en ville maintenant. Moi je suis de retour au village, mais c’est différent, parce que je choisis les règles du jeu. A l’époque, la campagne, c’était dur, c’était le travail dans les champs. Mais moi, je décide de ce que je veux faire. Si je le veux, je peux rester sous la couette, à lire ou à écrire. »

Cette vision idyllique de la campagne du passé, de la solidarité villageoise où l’on troque ses tomates contre les œufs du voisin, ce désir de rapports sociaux plus humains, c’est ce qui sous-tend le projet permacole du couple. Et ils espèrent secrètement que leurs enfants y seront sensibles aussi.


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