Xavier Moissenet, néo-viticulteur : « le bio était un choix égoïste »
- Emilie
- 2 août 2016
- 5 min de lecture
Samedi après-midi, la voix robotique du GPS me guide au cœur des plaines vallonnées de ma région natale, la Bourgogne. Les vignes se succèdent dans le paysage et la route me fait traverser des hameaux de plus en petits et dispersés, lorsque, enfin, j’atteins la petite commune de Bouzeron (Côte-d’Or). C’est ici, en plein cœur de la Côte chalonnaise, que Xavier Moissenet a installé son exploitation en bio il y a maintenant deux ans. S’il a appelé son domaine « Les Champs de Thémis » du nom de la déesse grecque de la justice, ce n’est pas un hasard : il y a quelques années, Xavier travaillait encore en tant que substitut du procureur. Retour sur un parcours atypique.

L’enfant du pays de retour à la vigne…
Xavier n’est pas tombé dans la viticulture par hasard, en témoigne son arbre généalogique : le jeune exploitant descend du côté de son père d’une vieille famille de viticulteurs de Nuits-Saint-Georges. Après la crise du phylloxera qui a décimé une bonne partie des vignes françaises dans la seconde moitié du XIXème siècle, la famille s’est reconvertie dans le textile, en particulier dans la fabrication de pantalons de vignerons renforcés au niveau de la culotte, « pour ne pas avoir le bas du dos au soleil quand on fait les vendanges » rit-il.
Le débit rapide, droit devant ses vignes, Xavier semble avoir souvent raconté son histoire. Etudiant en droit, il fait régulièrement les vendanges et découvre les rudiments du métier chez un cousin viticulteur. C’est ce qui le poussera à se spécialiser dans le droit de la vigne. Après une dizaine d’années à travailler comme magistrat, il prend sa décision et commence une formation en viticulture à Beaune, sans vraiment savoir à quoi s’attendre. « C’était toujours bon à prendre, justifie-t-il. » D’ailleurs, il reste prudent : même aujourd’hui, il est encore magistrat et statutairement disponible. « Si dans dix ans, je vois que ça ne marche pas, je peux retourner à la magistrature ».
…avec un nouveau défi : trouver sa place dans le paysage viticole bourguignon
En 2014, Xavier décide de sauter le pas. Cependant, il n’a pas de vignes familiales à reprendre, et trouver des terres lui demande beaucoup de temps. « C’est ce qui a été le plus difficile. Quand on n’a pas de famille directe dans le milieu, les gens ne vous tendent pas les bras » se souvient-il. Pour autant, il ne désespère pas, distribue des cartes de visite et cherche à se faire connaître tant bien que mal. « Un jour, on m’a appelé : une famille de viticulteurs qui souhaitait arrêter son exploitation cherchait un repreneur pour leurs terres. J’ai sauté sur l’occasion. » C’est de cette façon qu’il se lance dans le vin. Aujourd’hui, il dispose de près de 6 ha. « J’ai des vignes à Bouzeron, mais aussi des parcelles du Mercurey, montre-t-il du doigt. Là-bas, rajoute-il, ce sont des pieds de vigne très vieux, ils ont environ 80 ans ! ». Tout en contemplant ses vignes, il énonce toutes les appellations qu’il produit, fruit d’un travail de longue haleine : « du crémant de Bourgogne, Bourgogne côte chalonnaise rouge et blanc, du Mercurey rouge mais aussi l’appellation Bouzeron, complètement unique ! »
Trouver les fonds pour monter son projet et acheter le matériel, très coûteux, n’a pas non plus été évident. En Bourgogne, les coopératives dans le domaine viticole ne sont pas la norme ; c’est pourquoi Xavier a choisi de recourir au financement participatif. Sur ses terres à Bouzeron, Xavier est en métayage : il loue les terres aux propriétaires et leur donne une partie de sa production en contrepartie. Quant à ses terres de Mercurey, il les a acquis grâce à un Groupement Foncier Agricole (GFA) : il a fait appel à des actionnaires pour acheter les terres. Récemment, pour acheter de nouvelles cuves en inox, il a présenté son projet sur la plateforme de financement « Fundovino » et a même pu recueillir plus de fonds qu’il n’avait prévu. Des modes de financement salutaires pour le jeune exploitant qui cherche à développer sa production en bio, et qui ne s’aide, dans son travail, que d’un tâcheron et d’un saisonnier.
Le choix...et la pratique du bio
Xavier a envisagé le bio dès les débuts de son exploitation. Aujourd’hui, il est encore dans sa période de conversion qui doit durer trois ans.
« C’était d’abord un choix égoïste, explique-t-il, je ne voulais pas faire courir de risque pour ma femme et mes enfants ». Mais, contrairement à ce qu’on pourrait le penser, être en bio ne signifie pas pour autant n’utiliser aucun insecticide : Xavier applique deux traitements dits naturels à base de soufre et de cuivre sur ces vignes, à raison d’un traitement tous les huit à dix jours. « C’est indispensable pour combattre le mildiou » explique-t-il en montrant des feuilles de vigne attaquées par la maladie. Selon lui, ces traitements permettent d’éviter de décimer toutes les populations d’insectes : un impact environnemental qui serait donc plus faible qu’avec des insecticides chimiques. « Arroser les pieds de vigne de Round-Up dix jours pour désherber pour faciliter les vendanges, ça, par contre, je ne le ferai jamais » déclare-t-il.
L’usage d’insecticides demeure un grand clivage parmi les viticulteurs en conventionnel et en bio. En 2013, le débat avait été porté sur la place publique après le refus d’un viticulteur de Côte d’Or, Emmanuel Giboulot, de traiter préventivement ses vignes contre la flavescence dorée. Il avait été condamné par le tribunal correctionnel de Dijon puis relaxé en appel en 2014. Ces traitements préventifs avaient été imposés dans tout le département de Saône-et-Loire et de Côte-d’Or par un décret préfectoral, pour éliminer tout risque de propagation de la maladie après qu’un foyer avait été découvert dans la région. Nous abordons le sujet, avec Xavier. Il n’avait pas encore son exploitation à cette époque, mais son avis est tranché. « Moi, mon métier de magistrat m’incite à respecter les règlements. Et je pense que le décret n’est pas complètement tombé du ciel, il y a eu une discussion avec les viticulteurs. » Il est aussi d’accord sur un autre point : l’affaire a eu le mérite de créer le débat. Parce que la question de l’usage des insecticides, de leur conséquences sur la santé des vignerons et des populations locales, mais aussi sur l’état des sols et de la biodiversité se heurte de plus en plus à la fierté d’une culture qui fait l’image de toute une région.
Pour nourrir ce débat, je ne saurai trop vous conseiller de visionner le documentaire « Insecticide Mon Amour » de Guillaume Bodin (2015, 52 min). Il est disponible ici en vidéo à la demande.
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