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Wanakaset, le projet d’agroforesterie qui interroge la place de l’homme face à la biodiversité

Sur les crêtes rocailleuses du Massif des Albères, au détour d’une route capricieuse qui fait tanguer la voiture, perdu au milieu d’un forêt de chênes lièges, le Mas d’Amont apparaît. Enfin, nous voilà arrivés ! C’est à l’occasion d’une semaine dans le sud de la France, près de Perpignan que nous avons décidé, mon ami et moi, de venir faire deux jours de woofing pour découvrir le projet d’agroforesterie de l’association Wanakaset. Alors que nous descendons de la voiture, Hervé, porteur du projet à temps plein, nous accueille chaleureusement et nous emmène sur la terrasse du Mas.



Nous ne pouvons nous empêcher de rester ébahis devant la vue panoramique qui nous est offerte. Le Mas surplombe la plaine en bas jusqu’à la mer Méditerranée et nous donne l’impression de nous tenir à l’écart de la civilisation que nous pouvons observer vue d’en haut. Mais pour le moment, pas le temps de nous attarder plus longtemps devant cette vue, il faut profiter de la matinée pour aller travailler, avant que la chaleur ne devienne trop cuisante, même si l’avantage de travailler en forêt est qu’elle nous offre ombre et fraîcheur. Nous avons juste le temps de faire la rencontre de Stella et Amba, deux autres woofeuses américaines venues de Caroline du Nord. La tâche du jour : réussir à monter une cuve de un mètre cube tout en haut du terrain pour irriguer les arbres le long de la pente. Nous nous attendions à tout sauf à ça, et nous croyons à une blague quand nous découvrons la forêt que nous allons devoir traverser. Mais ici, le maître mot semble être : « les seules limites sont celles de ton esprit ». Nous partons donc en repérage du meilleur chemin pour y faire passer la cuve. Cette excursion occasionne de nombreuses pauses durant lesquelles Hervé nous parle du projet de l’association Wanakaset plus en détail. Nous apprenons donc que depuis février, entre 250 et 300 arbres fruitiers ont été plantés par Hervé, sa famille, des amis et des woofeurs du monde entier. Des pommiers, des cerisiers, des agrumes, mais aussi des manguiers, des avocatiers, etc… dont les graines proviennent de dons d’associations et de particuliers.


L’impact de l’activité de l’homme dans le Massif des Albères.


Hervé en vient vite à évoquer le cœur du problème et ce qui motive le projet : remettre de la biodiversité dans ce milieu qui a été modifié par l’homme. Il nous explique en quoi la forêt où nous nous trouvons porte la trace de l’activité humaine. Jusqu’au vingtième siècle, les hommes ont planté en masse des chênes liège pour exploiter leur bois destiné à la fabrication des fameux bouchons de liège. Aujourd’hui, l’activité a stoppé, la filière française étant concurrencée par les autres pays producteurs comme l’Espagne et le Portugal et par les matériaux synthétiques. Il en va de même pour la production de charbon ou de barques en bois qui ont décliné. Les chênes lièges qui représentent encore la moitié des espèces d’arbres des forêts privées du Massif des Albères sont la trace de cette histoire, tout comme les murettes et les terrasses à étages sont la marque de l’élevage caprin et des cultures d’altitude. L’impact de cette activité sur le milieu naturel n’est pas anodin, il en résulte une perte de biodiversité. En faisant en quelque sorte, de la monoculture de chêne liège, l’homme a contribué à la modification brutale de l’écosystème existant. Par conséquent, ce sont plusieurs espèces d’arbres et d’oiseaux qui ont disparu de ce milieu, souvent pas effet de cascade : quand un type d’arbre disparaît, l’oiseau qui venait se nourrir de ses fruits va aussi disparaître.



Un projet expérimental


Nous voilà déjà rendu en haut du terrain. Assis sur une pierre haut perchée, avec vue sur le terrain et le mas en contrebas, Hervé se met à rêver du futur : « Plus tard, ici, on peut imaginer une oasis où l’on viendra déguster des fruits au goût délicieux et entendre chanter une multitude d’espèces d’oiseaux ». Mais si cela fait rêver, rien n’est gagné d’avance. Le projet sonne en effet comme un défi : réussir à avoir un maximum d’espèces et de variétés comestibles à partir d’une forêt méditerranéenne de basse altitude, sans intrants chimiques et au plus près des écosystèmes présents. Mais comment peut-on savoir que ça ne marchera pas si on a pas essayé ? En tout cas, l’aventure semble tenter de nombreux chercheurs et étudiants en biologie, comme le démontre les partenariats avec des universités de la région et de Catalogne. Par ailleurs, le projet porte déjà ses fruits, si on peut le dire ainsi, car on déplore peu de pertes parmi les jeunes arbres. De plus, même si le vent qui sèche les feuilles demeure la difficulté principale, la plupart des arbres sont en bonne santé et commencent à produire de petits fruits.


Expérimental, ce projet l’est aussi pour Hervé et sa famille que nous rencontrons alors du dejeuner. Nous apprenons que lui est professeur de guitare et a lancé une scieries mobile pour fabriquer des barques catalanes avec du bois local. Quand à sa femme, Corinne, elle est professeur de français. Rien ne les destinait donc à planter des manguiers dans une forêt sur les reliefs pyrénéens. Mais là encore, il ne semble pas y avoir de limites, tout est possible ; explorer de nouveaux horizons semble être une nécessité pour cette famille de globe-trotteurs ayant vécu cinq ans à Istanbul.


Quelle place pour l’homme dans la forêt ?


Si Hervé semble avoir toujours vécu sur ces lieux, et bien que le projet s’inscrive dans une perspective de long terme, lui n’est ici que pour une durée limitée. Comme il nous l’explique, son rôle est d’aider les premiers arbres à pousser, de faire du « baby sitting » en les plantant, les arrosant, les soignant pour ensuite observer lesquels vont survivre, se développer, produire de fruits comestibles. A terme, la nature devrait faire elle même les choses : des oiseaux vont venir manger les fruits de ces arbres pionniers, pour répandre leurs graines (qui ne sont donc pas des graines dites « hybrides » que l’on achète communément) à travers la forêt.


Cela contredit l’idée selon laquelle l’homme est indispensable à la forêt et doit l’entretenir pour qu’elle reste en bonne santé. Il ne serait donc pas nécessaire de tailler, couper les arbres morts, faire des « éclaircies sanitaires » etc… D’ailleurs, Hervé nous explique que celle-ci a déjà commencé à se régénérer, à regagner en biodiversité comme le prouve par exemple le retour des Sorbiers, arbres anciennement présents et qui avaient disparu. En plantant une diversité d’arbres, l’association wanakaset, cherche à donner un coup de pouce à cette renaissance tout en expérimentant le développement de différentes espèces d’arbres dans ce milieu.



L’agroforesterie, un horizon prometteur à explorer.


Wanakaset signifie « agroforesterie ». Cette pratique agricole consiste à associer la forêt à des cultures ou de l’élevage. Si on découvre cette méthode aujourd’hui en occident, elle n’est pourtant pas nouvelle : elle existait déjà en Indonésie au XIIème siècle. Les porteurs de projets en agroforesterie semblent unanimes, remettre les arbres au centre du système agricole permet des apports en eau, en humus et en insectes auxiliaires qui enrichissent le sol, sans avoir besoin d’intrants chimiques, de l’irriguer et de le retourner excessivement. Cela a donc pour avantage de réduire le travail de l’agriculteur. En laissant la nature faire les choses sans intervenir outre mesure et en comprenant qu’il faut s’appuyer sur l’écosystème présent, un terrain peut offrir une production abondante. L’INRA suit d’ailleurs de près ces expérimentations qui prouvent déjà leur efficacité en terme de rendements.


L’agriculteur gagne donc en autonomie, perd en dépendance vis-à-vis des intrants chimiques et échappe aux travers d’une agriculture fondée sur le profit. C’est justement la source de la réflexion du créateur initial de l’association Wanakaset en Thaïlande. En effet, je découvre à travers mes recherches, l’histoire de cet exploitant agricole qui possédait des champs immenses de canne à sucre, jusqu’à être trop endetté par ses dépenses en intrants chimiques pour continuer. Il a alors rejeté cette agriculture qui l’aliénait et a cessé d’exploiter ses terres à outrance et d’épuiser les ressources naturelles pour passer à des pratiques plus raisonnées et avantageuses pour lui et pour ses terres. Il a compris à quel point ce système était pernicieux : en utilisant la chimie, il épuisait ses terres et ses finances tout en se rendant dépendant car il y avait toujours plus besoin d’engrais pour compenser la perte de productivité des sols. En sortant de ce cercle vicieux, il a choisi de revenir aux pratiques ancestrales des fermiers qui ne retiraient de leur terre que l’essentiel pour subvenir à leurs besoins pour se nourrir, se loger, se soigner et vendre une partie. Cette terre qu’ils respectaient leur rendait la pareil, leur assurant pour l’avenir, un capital naturel à long terme. La diversité de leurs cultures, quand à elles, leur permettait de répartir le risque en cas de variation des cours ou d’aléa naturel.


L’autre principe qui découle du concept « Wanakaset », est l’utilisation plus intelligente des ressources naturelles. Le Mas d’Amont fonctionne justement grâce à un système de récupération des eaux de pluie de la surface des toitures et des terrasses. L’électricité, elle, provient des panneaux solaires. Ces installations ont été mises en place par l’ancien propriétaire du Mas, avant que l’association Wanakaset ne le rachète. Même si celui-ci a développé tout cela pour répondre à une nécessité pratique, le mas n’étant pas raccordé au réseau électrique et au service d’eau, il n’en demeure pas moins que le système permet d’économiser les ressources.


Ce que je retiens de cette expérience est que l’Arbre et la Forêt sont une nécessité vitale pour l’homme. Il faut donc les comprendre pour ne pas rompre le fragile équilibre écologique de ces écosystèmes. Nous n’avons pas fini d’en apprendre sur eux et sur ce qu’ils peuvent nous offrir.


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