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Les fermes du Réseau Cocagne: un triple engagement

En avril dernier, l’équipe est allée rendre visite aux Jardins de Lucie, une ferme d’agriculture biologique appartenant au Réseau Cocagne. Située dans la commune de Communay, à 30 kms de Lyon, elle distribue toutes les semaines des paniers bio constitués de produits cultivés par des personnes en réinsertion sociale. Nous avons été accueillies par Muriel Verdone, directrice des Jardins de Lucie, qui nous a tout de suite familiarisées avec les trois dimensions propres à tout Jardin de Cocagne : la réinsertion, le bio, et la recherche de procédés alternatifs. Zoom sur le Réseau Cocagne et son engagement triple qui s’inscrit dans une perspective durable.



Les jardins de Cocagne : une mission sociale avant tout


Le premier Jardin de Cocagne a vu le jour en 1991 à Chalezeule, avec pour objectif de répondre au problème d’exclusion socioéconomique qui touchait les personnes de culture rurale et agricole de la région. Mis en place à l’origine par l’association Julienne Javel, le projet est très vite relayé, et d’autres Jardins de Cocagne sont créés dans toute la France – leur nombre devient assez important pour qu’un projet commun se développe et nécessite une structure nationale pour garantir sa bonne coordination. Le Réseau Cocagne est fondé en juillet 1999, et compte aujourd’hui près de 120 Jardins qui emploient environ 4 000 salariés en insertion.


L’objectif est simple mais il nécessite un réel engagement : il s’agit de favoriser l’emploi en délivrant des formations reconnues à des personnes en situation de précarité sociale, personnelle, ou encore professionnelle. Tout au long de leur expérience au sein du Jardin de Cocagne, ces « Jardiniers » et « Maraichers » (vocabulaire propre au Réseau) bénéficient d’un accompagnement personnalisé mené par des professionnels, qui adaptent leur encadrement en fonction des freins à l’emploi que chacun rencontre. A l’issue des deux ans de formation, la personne en réinsertion ressort du Réseau Cocagne avec une attestation de compétences reconnue officiellement dans le secteur professionnel. Celle-ci lui permet alors de se repositionner sur le marché du travail avec une compétence nouvelle et précieuse dans le contexte actuel. Le Réseau Cocagne et son engagement porte ses fruits, puisque près d’un Jardinier sur deux trouve un emploi durable ou une formation professionnelle à l’issue de son expérience au sein du Réseau.




L’agriculture biologique au service de la réinsertion professionnelle


Si l’objectif principal du Réseau Cocagne est la réinsertion professionnelle, celle-ci ne peut être dissociée de l’agriculture biologique.

D’une part, le « bio » bannit les pesticides qu’on utilise en agriculture conventionnelle pour rentabiliser la production : les Jardins ont donc besoin d’une main-d’œuvre plus importante et d’un savoir-faire précis mais vaste, puisque tous les aspects de l’agriculture doivent être maîtrisés. Par exemple, les Jardins de Lucie n’utilisent pas d’herbicides et emploient donc plus de personnes pour procéder au désherbage des plantations. Les semences sont « bio » et donc parfois plus fragiles, ce qui nécessite qu’on porte une attention particulière à leur évolution – les allées entre chaque plantation sont plus larges pour permettre à la main-d’œuvre handicapée physiquement d’y accéder facilement.


D’autre part, face à la montée de l’intérêt pour les produits bio, les compétences délivrées par ces formations prennent de la valeur au fil des années, et sont susceptibles d’offrir des emplois d’avenir à ceux qui en bénéficient.




Vers une alternative à l’agriculture conventionnelle ?


Les deux éléments que nous venons de développer semblent contradictoires avec la perspective de rentabilité économique : les personnes employées n’ont pas nécessairement de formation à leur arrivée et sont donc moins efficaces, les plantations biologiques ne sont pas aussi prolifiques que si elles étaient traitées aux pesticides…


L’agriculture biologique, qui paraît plus coûteuse et moins rentable à court terme, se heurte à des problèmes de financement. Par exemple, les Jardins de Lucie sont financés à 30% par la région Rhône-Alpes ; mais selon les régions, le lobbying est plus ou moins important, de même que son influence sur les pouvoirs locaux – Muriel Verdone s’inquiète d’ailleurs du changement de bord politique de la région, qui risque d’affecter les subventions au « bio ». Pourtant, les Jardins de Cocagne existent toujours et leur nombre s’accroît même, et ce malgré la concurrence sur le marché.

Intervient alors l’importance de la fidélité de la clientèle, qui constitue le plus gros investisseur des Jardins de Cocagne (40% du financement). La plupart des fonds proviennent d’investisseurs privés, mais le Réseau Cocagne a récemment mis en place un outil de financement qui consiste à capter des « capitaux patients ». Ceux-ci proviennent aussi d’investisseurs privés mais ils renoncent complètement au rendement financier, uniquement motivés par une volonté solidaire et écologique.


Les Jardins de Lucie comptent aujourd’hui 450 familles adhérentes, dont 350 qui achètent des paniers bio – parmi eux, entre 20 et 30% disent s’y être abonnés pour la qualité des produits, tandis que le reste privilégie l’aspect solidaire de l’initiative. La distribution des paniers se fait toutes les semaines, sans contrainte d’horaire et dans une atmosphère conviviale – on préfère la qualité à la quantité, le rapport humain à la facilité des grandes surfaces. Ces arguments convainquent un public de plus en plus large, qui agit à son échelle face à une agriculture de masse qui ne répond pas aux besoins d’une alimentation saine mais aussi locale et solidaire. Avec l’augmentation de leur clientèle, les Jardins de Lucie envisagent de nouvelles techniques comme le lombri-compostage ou la solarisation, qui permettraient d’accroître la production des Jardins mais aussi de les rendre auto-suffisants à terme.


Face au développement de projets tels que le Réseau Cocagne, on imagine possible une alternative à l’agriculture conventionnelle qu’on connaît aujourd’hui. Si l’échelle de ces réseaux reste réduite, il faut cependant voir que des innovations sont créées en permanence et offrent des possibilités qui n’étaient pas envisageables à moyenne ou grande échelle il y a quelques années.


Pour en savoir plus :

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