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D’un blog culinaire à un restaurant, Adriana Sanchéz met en place des projets pour une consommation

C’est à San José, à la limite du quartier gastronomique de Barrio Escalante, dans son restaurant : Manos en la Masa (Les Mains dans la Pâte) que je rencontre Adriana Sanchéz. Autour d’un café, elle me raconte l’histoire du restaurant, que tout a commencé par un blog culinaire et comment elle n’a jamais perdu de vue son objectif : soutenir les petits producteurs locaux.


Un contexte particulier : la dégradation de la situation des agriculteurs au Costa Rica à partir des années 80


Pour comprendre ce qui a motivé Adriana à se lancer dans un projet de blog, puis de restaurant, il faut remonter dans le temps. « Les années 70 sont le temps du Conseil National de la Production (CNP) » me dit Adriana sous mon regard interrogatif. “Le CNP était un organisme quasiment communiste, dont la mission était d’assurer la souveraineté alimentaire des Costaricains. Le CNP formait des agriculteurs, avait une banque de graines pour les conserver et les distribuer et les gens allaient acheter les produits alimentaires du pays aux différents points de distribution », me raconte Adriana en évoquant des souvenirs de son enfance.


Avec l’ouverture des pays d’Amérique Latine à la mondialisation dans les Années 80, le CNP s’est affaibli. « Dans le cadre du Consensus de Washington, le FMI a prêté de l’argent aux pays d’Amérique Latine en échange d’une condition : qu’ils réalisent des programmes d’ajustements industriels, c’est à dire qu’ils libéralisent leur économie », m’explique Adriana. « Les grands groupes agro industriels comme Chikita, Dole, Del Monte se sont imposés au détriment des petits producteurs, qui pour beaucoup, sont venus peupler les quartiers informels autour de la capitale du pays, San José ». En vendant leur terre pour aller chercher du travail en ville, l’agriculture familiale et locale s’est considérablement affaiblie et avec elle, la diversité de l’agriculture traditionnelle. En se spécialisant dans l’exportation de bananes, d’ananas, de sucre de canne, l’agriculture a perdu en biodiversité. Adriana se rappelle « c’était alors très triste d’aller à la feria del agricultor (marché de l’agriculteur) ». Les années 80 représentent aussi l’essor des supermarchés, les gens se sont tournés vers cette option bon marché et facile. Mais le problème selon Adriana, c’est que : «les produits vendus en supermarché passent au moins par trois intermédiaires ». Les prix qu’imposent ces grands groupes (grands distributeurs, groupes de transports, chaînes de supermarchés) aux agriculteurs sont injustes et dévalorisants. Adriana me raconte que cela s’est empiré au Costa Rica depuis que WalMart a racheté les chaînes de supermarchés nationaux comme Pali, MasXmenos, entre autres. C’est de ces enjeux que découle le premier projet d’Adriana : un blog culinaire.


Un projet de blog culinaire pour encourager les gens à aller acheter leurs produits au marché de l’agriculteur (Feria del agricultor)


En 2006, Adriana commence un blog culinaire où elle partage ses recettes réalisées avec des produits de la Feria del agricultor. « Le but était d’encourager les gens à aller à la Feria del agricultor au lieu d’aller au supermarché », Adriana continue : « Je me suis même mise à élaborer des listes de courses hebdomadaires correspondant à un menu de la semaine pour faciliter la vie des gens, notamment ceux qui travaillent ». Elle m’explique que dans les années 80, alors que les gens se professionnalisaient dans les métiers du tourisme ou les call center, l’auto production, le fait de produire et transformer chez soi ses propres fruits et légumes, s’est perdu au profit des fast-food et de la nourriture industrielle. « Aujourd’hui, certaines personnes sont tellement déconnectées de la réalité agricole qu’elles ignorent l’existence de saisons pour les fruits et légumes et il y a une méconnaissance honteuse de la situation des agriculteurs »,déplore Adriana.



Un projet de restaurant pour travailler en lien direct avec les producteurs


En 2008, Adriana décide de passer d’un blog culinaire à un restaurant. Elle travaillait alors dans une coopérative pour enseigner aux agriculteurs à utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication et cela lui a permis d’avoir une liste de producteurs à appeler pour leur proposer de travailler avec eux. En plus, la coopérative a décidé au même moment d’ouvrir une maison culturelle, ce qui a permis à Adriana de disposer d’un local pour y installer son restaurant. C’est ici, dans une ancienne maison bourgeoise, avec beaucoup d’espace et de caractère qu’elle et ses associés installent le restaurant Manos en la Masa. Adriana me parle de la vision du restaurant : « Répondre à une nécessité, pour venir en aide à la production locale ». Ainsi, le restaurant cherche à développer au maximum les circuits courts, en achetant directement aux producteurs, sans intermédiaires. Elle m’explique : « Certains producteurs avec lesquels nous travaillons nous envoient des colis par bus, et nous allons les récupérer aux terminaux. Nous voulons éviter de passer par des intermédiaires au niveau du transport. Nous nous rendons aussi toutes les semaines à la Feria del agricultor à San José ». En plus d’une relation plus juste avec les producteurs, cela permet au restaurant d’avoir une emprunte carbone très basse.


Manos en la Masa, un restaurant qui permet de sensibiliser les clients aux problématiques sociales et environnementales


Au restaurant, ils essaient de réduire la production de déchets au maximum. Adriana me raconte : «la majorité des déchets que nous produisons au restaurant sont organiques, et nous les compostons pour vendre ensuite l’engrais à un de nos producteurs ». Elle m’explique qu’ils recyclent le plastique, le verre, le carton, ce qui n’est pas simple au Costa Rica, il n’y a pas de service de ramassage des produits que l‘on peut recycler. Il faut se rendre dans des centres où les déchets sont réutilisés.

Par ailleurs, le restaurant respecte une certaine éthique animale. Adriana me raconte qu’ils ont fait le choix de ne pas servir que de la cuisine végétarienne : « moi même je ne suis pas végétarienne ». Mais, ils savent tout le circuit qu’a parcouru l’animal dont ils vont cuisiner la viande : où il a été élevé, comment il a été nourri et traité, comment il a été tué et par qui la viande a été préparée. Ainsi, ils privilégient la viande casher, non industrielle. Le boucher avec lequel ils travaillent ne gâche rien de l’animal : il fait par exemple des fromages de tête pour ne pas perdre cette partie de l’animal. Par ailleurs, ils lui passent des commandes chaque semaine, ce qui évite de « tuer pour tuer ».


Manos en la Masa ne sert pas que du bio. Il s’agit là encore d’un choix de Adriana et de ses collègues. Selon elle, « le problème de l’agriculture conventionnelle c’est que le ministère de l’agriculture du Costa Rica qui fournit aux producteurs des sacs de produits chimiques n’a jamais assumé son rôle de formateur ; il y a donc un abus dans l’utilisation des produits chimiques qui ne se fait pas de manière raisonnée ». Adriana m’explique qu’elle vient d’une famille d’agriculteurs et qu’elle sait que : « certaines cultures ne nécessitent pas de produits chimiques comme la pomme de terre qu’on associe à l’oignon pour repousser les insectes nuisant et éviter de les arroser d’insecticides » et elle ajoute : « en plus, la certification au Costa Rica est très chère car il faut payer le certificateur, ses trajets pour qu’il vienne jusqu’à la ferme notamment. S’ils n’ont pas d’autres producteurs autour d’eux pour se lancer dans une certification groupée, cela est très compliqué pour les petits agriculteurs». Ainsi, les producteurs qui fournissent au restaurant ne sont pas certifiés bio, mais Adriana connaît toutes les fermes, les a visité et sait que l’utilisation des produits chimiques correspond à ce qu’elle considère comme « une dose sans impact sur la santé ». Toutefois, ils font des exceptions et achètent bio pour les produits qu’elle appelle « les plus atomisés » comme la tomate par exemple. Ils ont une alliance avec une coopérative qui réunit des producteurs possédant le sello ecológico : la certification bio nationale et la mention neutre en carbone de l’Union Européenne.


En résumé, il s’agit d’une lutte pour une consommation responsable


Loin de vouloir appartenir à une mode, Adriana souhaite surtout que : « nos choix de consommation soient politiques ». Il s’agit de penser au modèle que l’on veut soutenir, à qui on veut donner notre argent … Car au final l’agriculture est au bout de nos fourchettes.


*Si vous voulez en savoir plus sur le restaurant Manos en La Masa et les projets d’Adriana :

–Manos en La Masa, le restaurant qui lutte contre l’idée que le Costa Rica n’a pas une culture gastronomique ancestrale riche (2/2)


*Certaines photos ont été prises sur la page Facebook de Manos en La Masa


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